c vrai que c long mais ça vaut la peine
À la suite d'un naufrage, la jeune héroïne s'est échouée sur une île inconnue dédiée aux mots.
Nous approchions d'un bâtiment qu'éclairait mal une croix rouge tremblotante.
- Voici l'hôpital murmura Monsieur Henri.
Je frissonnai.
L'hôpital? Un hôpital pour les mots? Je n'arrivais pas à y croire. La honte m'envahit. Quelque chose me disait que, leurs souffrances nous en étions, nous les humains, responsables. Vous savez, comme des Indiens d'Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens.
Il n'y a pas d'accueil ni d'infirmiers dans un hôpital de mots. Les couloirs étaient vides. Seules nous guidaient les lumières bleues des veilleuses. Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol.
Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre. Par deux fois. Un gémissement très doux. Il passait sous l'une des portes, telle une lettre qu'on glisse discrètement, pour ne pas déranger.
Monsieur Henri me jeta un bref regard et décida d'entrer.
Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien trop connue:
Je
t'
aime trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Trois mots reliés chacun à un tuyau de plastique plein de liquide.
Il me sembla qu'elle nous souriait, la petite phrase.
Il me sembla qu'elle nous parlait:
- Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j'ai trop travaillé. Il faut que je me repose.
- Allons, allons, Je t'aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Il la berça longtemps de tous ces mensonges qu'on raconte aux malades. Sur le front de Je t'aime, il posa un gant de toilette humecté d'eau fraîche.
- C'est un peu dur la nuit. Le jour, les autres mots viennent me tenir compagnie.
"Un peu fatiguée", "un peu dur", Je t'aime ne se plaignait qu'à moitié, elle ajoutait des "un peu" à toutes les phrases.
- Ne parle plus. Repose-toi, tu nous as tant donnés, reprends des forces, nous avons trop besoin de toi.
Et il chantonna à son oreille le plus câlin des refrains. [...]
- Viens Jeanne, maintenant. Elle dort. Nous reviendrons demain.
- Pauvre Je t'aime. Parviendront-ils à la sauver?
Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi.
Des larmes me venaient dans la gorge. Elles n'arrivaient pas à monter jusqu'à mes yeux. Nous portons en nous des larmes trop lourdes. Celles-là, nous ne pourrons jamais les pleurer.
- ... Je t'aime. Tout le monde dit et répète "Je t'aime". Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s'usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver. Tu veux rendre visite à d'autres malades?
Il me regarda.
- Tu ne vas pas t'évanouir quand même?
Il me prit le bras et nous quittâmes l'hôpital.